mardi 15 janvier 2013

Métabole : un accompagnement psychosocial pour les ados


ACCOMPAGNEMENT INDIVIDUALISE POUR DES ADOS EN SOUFFRANCE


A Paris et en Seine-Saint-Denis, l’association Métabole « place l’humain au centre de ses préoccupations » et propose un type d’accompagnement innovant pour des jeunes en grande difficulté. Parmi eux, Antonin (1), Alex et Marc en ont bénéficié. Témoignages.

Des locaux au rez-de-chaussée d’une résidence moderne, au fond d’une grande cour arborée, au cœur du XIème. C’est là qu’est situé l’établissement parisien de l’association Métabole : une grande salle d’accueil où une adolescente attend pour un entretien, un long couloir dessert quelques bureaux et une salle de réunion, l’ambiance est travailleuse et détendue. C’est un lieu d’accueil pour les 90 jeunes suivis par l’équipe de direction, les coordinateurs, les assistantes et les éducateurs.
Et depuis 2005, ce sont 60 adolescents qui sont pris en charge dans les mêmes conditions à Pantin, en Seine-Saint-Denis.
Créée en 1994, Métabole a pris sa place dans le paysage de la protection de l’enfance en Ile-de-France. Xavier Florian, directeur général, en est un des co-fondateurs. « C’est une association loi 1901. Nous accueillons des jeunes, de 16 à 21 ans, qui ont un parcours de vie traumatique, en grandes difficultés psychologiques, parfois déscolarisés depuis de nombreuses années. Certains d’entre eux ont des troubles du comportement et de la personnalité. C’est à eux que nous nous adressons ».
Pour ces jeunes, les interventions socio-éducatives traditionnelles des institutions sont inopérantes. Le dispositif mis en place par Métabole : hébergement individualisé en studio avec une allocation mensuelle et, pierre angulaire, l’accompagnement psycho-social conduit par un professionnel unique, psychologue clinicien-psychohérapeute de formation, l’ »accompagnateur psychosocial ». « Le challenge était d’arriver à leur faire accepter un travail psychologique », explique Xavier Florian. « Pas facile pour eux de se confier, ils ne veulent pas revivre leurs problèmes… ».
En France, la protection de l’enfance est mise en oeuvre par les départements. Les enfants dont les familles sont en difficulté, absentes ou défaillantes sont pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (A.S.E.) qui subvient à leurs besoins jusqu’à leurs 18 ans. «L’éducation, l’alimentation, l’hébergement, l’accompagnement scolaire ou dans l’insertion professionnelle… Tous les enfants y ont droit, c’est inscrit dans la loi, rappelle Xavier Florian. A partir de 18 ans, ce n’est plus obligatoire mais quand la situation le justifie, la prise en charge peut-être prolongée sana pouvoir excéder la date anniversaire des 21 ans. Ce sont les contrats « jeunes majeurs ». Mais pour des raisons administratives, politiques ou financières, les départements limitent leur durée, restreignent les conditions d’accès, voire en signent de moins en moins ».
Ahmed Arsalane, 40 ans, éducateur chez Métabole depuis 2 ans témoigne de l’engagement de l’association qui « apporte une solution alternative à ces jeunes envoyés par les services sociaux et qui sont dans une spirale de l’échec ».
Leur profil n’est pas celui d’adolescents délinquants mais des enfants laissés pour compte ou maltraités au sein d’une famille, qui vivent des situations dramatiques aboutissant à des comportements asociaux ou de type suicidaire. 

Apprendre l’autonomie
Pour ces jeunes, rejetés de dispositif en dispositif, Métabole « joue une autre carte », comme l’explique Xavier Florian. « Métabole a fait le choix du logement individuel pour plusieurs raisons. Faire un pas vers eux, en acceptant leur revendication d’indépendance et leur montrer ainsi notre confiance, les responsabiliser d’emblée. Ca fonctionne bien avec les ados. Et, bien souvent, quand ils arrivent la première fois dans leur studio, ils n’en croient pas leurs yeux ! ».
Les accueils collectifs masquent souvent les problèmes individuels. Les voir évoluer seuls permet de mettre en évidence rapidement les difficultés propres à chacun comme les rapports avec les voisins ou l’hygiène…
Antonin avait 17 ans en 2007 quand un juge pour enfants l’a dirigé vers Métabole. « J’avais déjà passé un an en AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert). J’avais une scolarité normale dans un lycée parisien mais les rapports avec ma mère s’étaient dégradés et étaient même devenus violents… Il fallait que je quitte le domicile familial ». Pour intégrer le dispositif, Antonin va suivre le processus d’admission : pas moins de 5 entretiens avec un coordinateur, des psychologues et le directeur adjoint seront nécessaires pour évaluer la situation et les objectifs.
Quand l’admission est officialisée, commence alors une période d’évaluation de trois mois : le jeune accepté dans le dispositif signe un projet personnalisé qui précise ses engagements et ceux de l’institution. Elle permet de juger en situation ses capacités d’adaptation. Le jeune se voient allouer un studio et 420 euros par mois et gère son quotidien – le ménage, les courses, les relations de voisinage…
Durant ce trimestre, deux éducateurs en hébergement sont là pour accompagner cette première autonomie. « Nous sommes là pour les soutenir mais sans empiéter sur leur intimité », précise Ahmed. « Lors de nos rencontres nous portons attention à son état physique, à sa santé. On repère tout de suite s’il ya un mal être. Nous les accompagnons dans certaines démarches administratives si c’est nécessaire. Nous nous assurons de leurs capacités d’autonomie : l’entretien du lieu, la gestion du budget, les courses, l’hygiène corporelle, sa sociabilité… ».
A l’issue de ce trimestre, il est décidé si la prise en charge se poursuit ou non. « 85% s’engagent dans la durée, c’est à dire sur 2 à 3 ans en moyenne ; 15% n’y parviennent pas, très souvent pour des raisons de grands troubles psychologiques », souligne Xavier Florian.
Le suivi des prises en charge est assuré par trois coordinateurs. Chacun d’eux a la responsabilité de 30 jeunes et travaillent en étroite collaboration avec 9 accompagnateurs psychosociaux.
Bien sûr, le jeune n’est pas totalement livré à lui-même : les bureaux sont ouverts en semaine, les accompagnateurs psychosociaux peuvent intervenir du lundi au samedi de 8h00 à 21h00 et l’équipe de direction assure une permanence tous les jours et à toutes heures en cas d’urgence.
« Pas de murs, pas d’institution ni d’adultes » le soir pour les surveiller mais un dispositif « qui agit comme un filet. On est présent autrement », ajoute Xavier Florian.
« Il n’y a pas le poids de l’institution », ajoute Ahmed. « Nous avons un double des clés de leur logement mais seulement pour les cas d’urgence. Nous ne nous rendons chez eux qu’à leur demande».
Métabole prend des engagements très solides avec les propriétaires des studios. L’association veut être « irréprochable sur la régularité des loyers, sur la propreté des lieux et s’engage à remettre en état les studios à la fin du bail, sols et peintures ».
Pas toujours facile au départ de vivre cette autonomie. Ahmed se souvient d’un jeune garçon « qui se laissait envahir par ses proches et dont l’hygiène se dégradait avec l’accumulation de ses poubelles dans son studio ».
Il rapporte aussi l’histoire de Marc, arrivé chez Métabole en novembre 2010, « issu d’une famille de cadre supérieur, en conflit avec elle et qui vit très bien ses premiers mois dans le dispositif. Suite à une rencontre avec sa mère, il a replongé dans ses traumas, s’est refermé sur lui-même à nouveau. Et se laissait aller : vêtements sales, manque d’hygiène, ne faisait plus la vaisselle, etc. ».

L’accompagnement psycho-social
Avec de la patience, de l’écoute et le travail avec le psychologue, Marc s’en est sorti et a passé brillamment son bac professionnel en mécanique.
Car c’est là, le point fort et innovant de Métabole : la mise en place d’un accompagnement psychosocial. Nicolas Peraldi, psychanalyste, travaille depuis 10 ans en partenariat avec Métabole. « Tout le système repose sur les modalités du suivi psychologique. J’ai été tout de suite séduit par leur approche nouvelle : ne pas dissocier la vie sociale et les problèmes psychologiques. Nous sommes des accompagnateurs psychosociaux ».
C’est une équipe de 45 psychologues-psychotérapeutes qui suivent les adolescents de Métabole, à Paris et en Seine-Saint-Denis. « Nous ne sommes pas salariés de l’association, nous travaillons en libéral et restons donc indépendants de toute institution », souligne Nicolas Peraldi.
Lors des entretiens d’admission, l’adolescent rencontre trois psychologues et choisi celui avec qui il souhaite continuer. C’est un choix important qui l’engage tout au long de sa prise en charge. Les rencontres se passent deux fois par semaine dans le cabinet du praticien. Ce dernier fait un compte-rendu des entretiens aux équipes de Métabole.
Antonin avait « des réticences au début. Mais j’ai joué le jeu et j’ai choisi le psychologue avec qui je souhaitais travailler. Sans lui je n’aurais pas arrêté de culpabiliser et ni compris que les torts étaient partagés avec ma mère. Ca m’a permis d’avancer et de mieux gérer mes humeurs. Et aujourd’hui, je fais des projets pas envisageables il y a 5 ans ! ».
En 10 ans, Nicolas Peraldi a suivi une quinzaine de jeunes et émis deux avis défavorables pour des troubles psychiques lourds. « Beaucoup sont séduits par Métabole mais tous ne sont pas prêts à s’engager en milieu ouvert. Pour ceux qui le sont, leur donner la parole pour choisir leur accompagnant psycho-social c’est accorder du crédit à leur parole ».
Vaincre leur méfiance, les laisser parler à leur rythme, leur apprendre à dire « je »: les adolescents ont souvent du mal à s’approprier leur propre discours qui jusque là a été « diluer » par celui des parents, des éducateurs,… « Certains prennent plus de temps mais tous finissent par parler, confie Nicolas Peraldi. « Quand la parole ne vient pas, le psychologue ne doit pas se taire. On engage alors une conversation ordinaire : livres, ciné, amis… Je me souviens de cette jeune fille qui ne disait pas un mot au début. J’ai engagé la conversation sur son tatouage et la parole s’est dénouée ! C’est sur l’intime, sur leurs blessures qu’il faut les laisser venir à nous ».
Alex, 20 ans aujourd’hui, avait déjà connu l’autonomie. Sans famille, il a grandi dans les foyers et avait déjà bénéficié d’une chambre, seul. Mais il souhaitait une vraie autonomie : à 18 ans, scolarisé dans un lycée hôtelier de Clichy-sous-Bois, Alex fait des recherches sur Internet et trouve le site de Métabole. « Une éducatrice de l’A.S.E. m’a aidé à monter mon dossier d’inscription. J’ai connu quelques moments de solitude mais j’étais bien soutenu par mon accompagnât psychosocial. C’était facile de lui parler, il m’a aidé à garder les pieds sur terre et à avancer ».
Parallèlement au travail thérapeutique, le psychologue peut être amené à accompagner le jeune hors du cabinet pour des démarches ou des rencontres avec le principal d’établissement, un médecin ou un employeur par exemple. Nicolas Peraldi précise les conditions de cet accompagnement : « C’est toujours pensé et organisé avec les ados, et toujours en leur présence ». Et Alex en souligne l’importance : « C’était une relation de confiance grâce au soutien par la parole et aux démarches faites ensemble ».

Un nouveau cycle
Les statistiques et les rapports établis par Métabole démontrent que « plus le jeune reste longtemps dans le dispositif, meilleure est sa situation à la sortie ». Cette évaluation se fait sur trois critères objectifs et concrets : progrès en terme de qualification (diplôme, évolution scolaire), accès à l’emploi, accès au logement. Les jeunes qui restent plus de 3 ans sont 85% à accéder à une qualification, 50% à un logement stable, environ 60% à accéder à un emploi ou à finir une formation en alternance.
Antonin prépare aujourd’hui un master en sciences humaines. Il est retourné vivre chez sa mère en juillet 2011 et va partir, pour ses études, 4 mois au Canada. Quant à Alex, il a trouvé un appartement en location et travaille comme vendeur.
Xavier Florian insiste : « On ne prétend pas remplacer les systèmes traditionnels mais nous sommes là pour les adolescents pour qui ils ne fonctionnent pas. On s’aperçoit que dans l’immense majorité, ils ne se mettent pas en danger, ils gèrent correctement leur lieu de vie même si quelques uns font des bêtises ordinaires. Très peu ont des troubles alimentaires ou dépensent leur argent de manière irréfléchie ».
L’actualité pour l’association c’est l’autorisation, en janvier 2012, du dispositif pour 15 ans par les départements de Paris et de Seine-Saint-Denis. C’était une autorisation attendue. « Nous aurions dû l’obtenir dès 1994 mais nous étions trop originaux, le dispositif trop expérimental et notre statut était flou par rapport aux lois de l’action sociale existantes », explique Xavier Florian. « Nous avons fonctionné dans un no man’s land juridique ». Cette reconnaissance « est une belle victoire pour nos équipes. Ce projet qui reste original, de mise en autonomie et d’accompagnement psychosocial, est normalisé ».
C’est un nouveau cycle qui commence pour Métabole, de nouveaux projets comme la coopération avec d’autres associations et l’aide auprès de structures en difficulté. C’est le cas, avec une association marseillaise de réinsertion sociale et ayant le même public d’adolescents.

Isabelle Oval

(1) Les prénoms ont été changés

METABOLE
Siège
206, rue de Belleville
75020 Paris

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